Le risque d’éclore

Cloé Marcoux Hiver 2022, Inspiration, Récit

Temps de lecture: 5 minutes

Cloé Marcoux est une passionnée d’arts, de plein air et de voyages. Quand elle ne court pas le monde, elle reboise l’Ouest canadien. Elle se consacre aussi à l’écriture, au dessin, au ski et à l’escalade.
Avec le ton poétique qu’on lui connait, inspirée par ses lectures et ses aventures, Cloé Marcoux nous livre ses réflexions sur les temps actuels. Incertitudes et divergences créent-ils une faille, laissant place à d’innombrables ilots solitaires? Ou bien peut-on laisser l’espoir éclore et construire des ponts vers plus d’inclusion?

Un jardin prêt pour l’éclosion

Je veux ma vie comme un jardin. Bien arrosé, nourri de tous les minéraux essentiels, tendu vers le soleil, enchanté aussi lorsqu’il reçoit les intenses torrents d’une averse. Si je prends soin de ce que je donne à mon jardin, il prendra aussi soin en retour de me donner les légumes les plus croquants, les fruits les plus délicieux.

J’ai tendance à voir le meilleur chez les gens, à célébrer la beauté là où elle est. Ainsi parfois je suis naïve, je passe à côté de quelque chose qui plus tard me heurtera, je choisis inconsciemment de ne pas y poser mes yeux, de donner mon attention plutôt aux fleurs, à l’engrais prometteur. Cela a ses avantages. Mais ainsi parfois je ne remarque pas, peut-être le nuage de fumée qui annonce une sécheresse, peut-être la peste rampante qui attaquera les semences. Connaissant cette naïveté, je m’interroge: y a-t-il quelque détail que j’ai manqué? Y a-t-il dans mon angle mort quelque chose que je ne vois simplement pas?

L’esprit est comme un parachute. S’il n’est pas ouvert, il ne fonctionne pas.

Frank Zappa

Territoire en crise

Nous sommes sur le territoire. Pour certains celui-ci ressemble à une jungle, pour d’autres plutôt à un désert. Nous sommes éparpillés, accaparés par nos propres jeux d’ombre et de lumière, certains couraillant, certains recroquevillés, se balançant d’un extrême à l’autre, cherchant une sorte d’équilibre, une certaine harmonie. Nous sommes sur le territoire, traversant maintenant une crise majeure, impactés de différentes manières, mais tous impactés, tous plongés dans l’incertitude.

Nous ne savons pas exactement comment nous émergerons de cette épreuve. Nous avons nos théories sur ce qui se passe, nos opinions sur comment s’en sortir, nos divergences idéologiques qui créent des failles dans le sol, de petits îlots solitaires, un précipice de silence et d’incompréhension entre eux et nous, entre toi et moi. Nous sommes à la dérive, dans une tension grandissante, dans un climat hostile, avec les yeux pourtant sur un même cap. Se protéger, protéger ceux que l’on aime. Survivre. Être en sécurité. Mais à quel point défendrons-nous notre sécurité si cela nous coûte de mettre en danger ce qui nous donne une raison de vivre? Sommes-nous jamais à l’abri de nous-mêmes?

Dans tout état d’urgence, dans toute situation périlleuse, la pensée critique est cruciale. Il ne faut tout de même pas se jeter dans une crevasse parce que le glacier grince, que le grondement d’une avalanche se fait entendre, ou alors se jeter dans la gueule du loup par peur d’être poursuivi par un ours.

Guérir le sol

Quelle est l’histoire qu’on me narre avant que je m’endorme, celle que je me raconte pour parvenir à me lever, et quelle est l’histoire que nous sommes véritablement en train de vivre et d’écrire? Plutôt que de s’enfermer dans notre propre version de l’histoire, trouvons la force d’établir et de cultiver un dialogue. Un espace pour se rencontrer. Sans jugement, sans attentes. Un espace pour être vulnérable et apprendre. Il est important de savoir faire usage de la pensée critique, de savoir se poser, réfléchir, se remettre en question. Mais il est tout aussi essentiel de savoir baisser la garde, parler avec sincérité et écouter avec compassion. Quelque part entre la panique et l’ignorance, le pessimisme et la naïveté, entre la tentation des raccourcis et l’obscure menace de la solitude, il s’agit de s’accorder. De bâtir un pont au-dessus du précipice. De guérir le sol de ses plaies. Il s’agit de trouver le calme, et le courage d’ouvrir les yeux. D’ouvrir son cœur. De ressentir profondément, de ressentir ce que l’étranger ressent. De voir que le monde ce n’est pas l’un ou l’autre, mais tout à la fois. Complexe, douloureux et beau.

Puis il vint un jour où le risque de demeurer recroquevillé comme un bourgeon devint plus grand que le risque d’éclore.

Anaïs Nin

Éclosion

Nous sommes en crise, mais aussi en transition. À l’aube de grands changements, et possiblement d’un formidable éveil collectif. Comme être en quarantaine à la maison nous montre quelque chose sur nos relations que l’on ne savait pas, cette épidémie nous montre quelque chose sur le monde que l’on n’avait pas vu. Les failles de notre système de santé, le nombre démesuré de gens dans le besoin. Même comparé à la dernière génération nous sommes un peuple inconcevablement malade. Les taux d’handicaps physiques et mentaux, de maladies auto-immunes, de dépendances et de dépressions continuent de grimper et nous avons peine à suivre.

Nous sommes en chemin sur ce vaste territoire indéniablement sauvage, libres d’avancer vers où bon nous semble. Voulons-nous nous éveiller, vivre pleinement et prendre la responsabilité de ce que cela implique, ou voulons-nous survivre engourdis, rassurés, médicamentés? Voulons-nous continuer de prendre notre pilule quotidienne pour gérer temporairement les symptômes, ou comprendre pourquoi donc sommes-nous si malades, et aller ensemble à la racine de nos maux, à la source de notre souffrance, et arriver peut-être à en guérir? Nous pourrions plonger les mains dans la terre. Bien profond. Nous pourrions dévouer nos efforts à prendre soin les uns des autres. Et à fleurir courageusement.

Nous pourrions dévouer nos efforts à prendre soin les uns des autres. Et à fleurir courageusement.

Dessin: Cloé Marcoux

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Photos: Pxhere – Creative Commons. Dessins: Cloé Marcoux