
Leçons de sagesse des Huaorani, peuple d’Amazonie équatoriale
Il y a quelques mois, j’ai fait une pause dans ma vie «normale». Besoin de temps, d’espace. Recherche d’authenticité, d’un retour à la source. Ayant quitté un emploi qui ne me satisfaisait plus, j’ai été poussée d’instinct à jouer les anthropologues, à partir à la rencontre de peuples autochtones dits «peuples premiers».
L’occasion s’est présentée, grâce à mon ami guide et photographe Jean-Pierre Danvoye, de vivre une immersion chez les Huaorani d’Amazonie, en Équateur. Récit et leçons tirées de cette expérience initiatique.
En janvier 2019, je m’envolais donc pour Quito, fébrile, où un petit groupe me rejoignit pour aller à la rencontre des Huaorani (ou Waorani), l’une des treize nationalités indigènes reconnues de l’Équateur, dont le territoire est situé dans la forêt amazonienne. Qu’apprend-on d’une telle incursion, forcément déroutante? Les peuples premiers n’ont-ils que sagesse à nous transmettre? Y a-t-il un revers de la médaille?
Des guerriers en sursis
Un peuple de guerriers
Mettons les choses au clair. Le peuple huaorani n’est pas réputé pour accueillir les étrangers avec des colliers de fleurs, des paniers débordants de fruits exotiques et une bienveillance au contact de laquelle vous seriez sanctifié. La réputation des Huaorani est celle d’un peuple guerrier, sanguinaire, d’une grande férocité. Envers les autres indigènes et au sein même de leurs communautés. Pour leurs voisins kichwas, en particulier ceux du 3e âge, le mot huaorani équivalait à «personne maléfique». Cette charmante réputation vient du fait qu’ils tuaient les étrangers à vue. Ce qui leur a permis de rester isolés du monde moderne jusqu’aux années 1950, époque de la découverte de gisements de pétrole sur leur territoire.
Un peuple en sursis
Selon les sources, les Huaorani seraient forts de 2 000 à 4 800 membres, répartis sur 24 communautés dans les provinces de Napo, Orellana et Pastaza. La loi reconnaît leur souveraineté, mais le sous-sol reste la propriété de l’État. De leurs terres ancestrales de deux millions d’hectares, il ne reste aujourd’hui que quelques 600 000 hectares (6 000 km2). Riches en pétrole, elles sont très convoitées.
La famille qui va nous accueillir vit dans la province de Napo, à 80 km au Sud de la ville de Coca. En direction du parc national Yasuni pour aller prendre la pirogue, j’aperçois d’horribles tronçons de pipelines serpentant le long de la route sinueuse, et même en suspension au-dessus de nos têtes. Est-ce la chaleur, la soif, les virages qui s’enchaînent ou ces tuyaux défigurant le paysage qui me donnent le plus mal au cœur?
L’exploitation pétrolière est l’un des piliers de l’économie équatorienne depuis les années 1970. Elle a cependant fait des ravages, auxquels s’ajoutent ceux de l’exploitation forestière illégale : destruction de vastes superficies de forêt, contamination de sources d’eau, montagnes de déchets, disparition d’espèces végétales et fauniques.

«Dans nos forêts, ils ne voient que potentiel d’exploitation du pétrole, des arbres, de l’or et des cultures agricoles. Ils ne nous voient pas, nous. Ils se moquent de la façon dont nous vivons. La forêt est notre maison. Elle nous donne tout. Elle nous donne la vie même.»
– Oswando Nenquimo, Huaorani (traduction libre de l’espagnol, de l’auteure).
Contre la vie moderne, l’auto-isolement
La société huaorani pratique l’auto-isolement. On en sait très peu sur ses coutumes ancestrales, excepté que c’est un peuple semi-nomade, vivant en autarcie et qui rejette catégoriquement le contact, le commerce et les échanges avec ses voisins, qu’ils soient issus de la jungle, métis ou blancs.

Des chasseurs-pêcheurs-cueilleurs
Survivre en forêt et apprivoiser son environnement


Fiers guerriers, pêcheurs et chasseurs notoires, les Huaorani confectionnent eux-mêmes leurs armes: de grandes lances et des sarbacanes. Angel et Caouiya manient la sarbacane comme des dieux. Certaines sont si longues et imposantes qu’elles sont impossibles à soulever pour moi! Les jeunes huaorani reçoivent une petite sarbacane très tôt afin de développer leurs habiletés.
Sous mes yeux, la petite Estefania m’impressionne en maniant le couteau entre les branches. Elle se déplace si habilement, pieds nus dans la forêt, et sait certainement mieux s’orienter que nous. Elle ne s’en rend peut-être pas compte, mais quelle liberté elle a de ne pas avoir sur son dos un adulte qui la surprotège: «Attention, c’est dangereux! Tu vas te faire mal!»
Même si leur usage a aujourd’hui un côté folklorique (démonstration aux touristes comme nous), certains groupes continuent d’utiliser ces armes ancestrales pour se nourrir. La chasse constitue en effet la majeure partie de leur diète. Caouiya, le chef de famille, prépare le curare, poison à base d’extrait de lianes qu’il dépose ensuite sur une flèche et qui paralyse les animaux. Ce toxique très puissant est utilisé quotidiennement comme anesthésiant dans nos hôpitaux. Et, plus récemment, les curares sont largement administrés en réanimation à cause de l’épidémie de Covid-19.
Pratiquer l’alternance pour préserver les espèces
Caouyia nous explique qu’ils chassent les singes, et il imite d’ailleurs à merveille leurs cris. Traditionnellement, ils chassaient aussi les toucans, cerfs et pécaris sauvages (sorte de petit sanglier). Nous verrons trois sortes de singes: le singe-hurleur, le singe-araignée et le singe-écureuil. Ils ont bien conscience de leur devoir de préserver les espèces animales et la biodiversité. Afin de ne pas épuiser les ressources dont ils se nourrissent, ils mangent par exemple de chaque type de singe tous les trois ans, en alternance.
Pratiquer une économie durable, pour ne pas épuiser les ressources naturelles.
Caouyia et Angel sont des forces de la nature. Chasseurs, pêcheurs, ils peuvent grimper aux arbres et s’orienter dans une forêt dont la densité laisse perplexe la citadine que je suis. Ils nous proposent de marcher jusqu’à une rive où les piranhas foisonnent. La pêche est en effet une autre des activités les plus importantes dans leur quotidien. Les Huaorani affectionnent le piranha bouilli. Nous les observons pêcher des piranhas avec un simple fil de pêche, et l’espiègle Angel se réjouit de nous faire peur avec ces «poissons-dents».
Connaître les espèces vivantes, leurs propriétés et complémentarité
Au retour de cette pêche abondante, nous marchons jusqu’à un ceiba géant. Le plus grand des arbres de la forêt tropicale: il peut atteindre 70 mètres de haut. Caouyia nomme en chemin de nombreuses espèces végétales et nous en décrit les spécificités. Nous passons ainsi devant un arbre, le cecropia, dont les fines branches abritent des fourmis. Angel nous parle de l’association arbre-insectes. Les fourmis logent dans les tiges creuses et se nourrissent de nectaires riches en sucre, un régal. En échange du gîte et du couvert, elles fournissent à l’arbre une protection contre les mangeurs de feuilles. Angel nous explique que les Huaorani consomment des fourmis: elles sont appréciées pour leurs protéines saines, leur texture croustillante et leur goût épicé.
Ce compagnonnage arbre-fourmis rappelle celui qui est enseigné aujourd’hui en permaculture. En plus d’être chasseur et pêcheur, Caouyia est un botaniste autodidacte. Depuis des siècles, les Huaorani utilisent les propriétés des plantes médicinales et les transmettent de génération en génération.
Ils cultivent également sur place les légumes et fruits qui composent leur alimentation, basée sur la banane plantain et le manioc. Dans leur potager, on retrouve aussi du maïs, des pommes de terre, des cacahuètes, du piment d’Ibarra et des fruits exotiques tels que la guava (fruit en forme de concombre), la tomate d’arbre, le babaco, le corossol, le fruit de la passion et la goyave. Évidemment, toutes leurs cultures sont naturelles et sans pesticides.
Retrouver notre lien originel avec la nature.
Pêche miraculeuse de charmants piranhas Angel s’amuse de notre dégoût en se délectant de fourmis Mutualisme arbre/fourmis
Vivre ensemble
Construire des maisons écologiques
Ce peuple semi-nomade s’installe pour une dizaine d’années au même endroit avant de partir vivre ailleurs. La maison de Caouyia et de Mema est une maison traditionnelle huaorani ou onka. Elle est fabriquée exclusivement à partir de matériaux naturels, en bois et avec des feuilles des arbres de la forêt alentour. Celles-ci assurent protection contre la pluie et la fraîcheur. L’étanchéité du toit, uniquement recouvert de feuillages, est impressionnante. Nous avons testé sous de fortes pluies! Avec un étage couvrant la même superficie que le rez-de-chaussée, on ne se marche pas dessus. Les plus grandes maisons mesurent 23 mètres de long par 12 mètres de large et 7 mètres de hauteur. Spacieuses, ombragées, très ventilées et à «aires ouvertes» avant l’heure, elles reflètent un grand sens pratique.
Vivre dans des maisons en harmonie avec la nature, et faites entièrement de matériaux naturels: l’éco-architecture.
Vie intergénérationnelle
Ces maisons abritent de 10 à 15 personnes de la même famille. Mema est allongée confortablement dans son hamac, Estefania jouant à ses côtés. De là, elle a accès à tout ce qui lui est nécessaire : nourriture à préparer, fils végétaux à tisser, comme ces fibres de palme avec lesquelles elle nous fabrique des serre-têtes et bracelets 100% végétaux. À leur côté, Caouiya, lui, n’arrête pas une seconde de l’aube au coucher du soleil. Il s’occupe du feu, entretient le matériel et va chercher de l’eau à la source.
La cohabitation intergénérationnelle fait partie de la vie du peuple autochtone huaorani. La maison traditionnelle des Huaorani d’Équateur ou onka Tressage à la main
Fabriquer des objets de ses doigts avec des matériaux naturels, réparer pour lutter contre l’obsolescence programmée. C’est le DIY (Do It Yourself) façon huaorani!
Hiérarchie et partage des tâches
Concernant le partage des tâches, justement, leur vie de tous les jours se caractérise par l’absence de hiérarchie sans que personne ne donne d’ordre (en apparence). J’ai constaté cela chez d’autres ethnies minoritaires – notamment au Vietnam – et j’enviais autant les parents, pour l’absence de charge mentale, que les enfants qui sont plus libres, débrouillards et autonomes.
L’équité homme-femme pour les tâches domestiques semble aussi être de mise. Les hommes préparent les espaces qui accueillent les potagers, confectionnent et entretiennent leurs outils et leurs armes, préparent le curare, chassent, pêchent et protègent leur famille. Les femmes jardinent, cuisinent, prennent soin des enfants et fabriquent des objets comme des ustensiles de cuisine et des bijoux. Certes ce partage traditionnel peut paraître cliché, mais il semble fonctionner harmonieusement.
Cela vous amuserait d’apprendre à compter jusqu’à dix en langue wao? Caouyia nous l’enseigne en 30 secondes.
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Crédit photos: Florence Bourg, à l’exception des deux premières