Leçons de sagesse des Huaorani, peuple d’Amazonie équatoriale – La suite
Si vous débutez votre lecture, vous aimeriez peut-être consulter d’abord la première partie de cet article.
Culture et spiritualité
Transmettre la culture d’origine
La culture huaorani accorde une grande place au chant et aux contes traditionnels. Le soir venu, Caouiya entame a cappella des chansons parlant de montagnes, de pêche, de chasse, d’animaux (poissons, grenouilles, perroquets). La nature ainsi que les activités quotidiennes sont omniprésentes dans la culture. D’autres évoquent les combats des guerriers et la mort. Des sources précieuses d’information pour tout anthropologue ou ethnologue!
Angel, qui est dans le début vingtaine et déjà père de trois enfants, parle la langue wao. Estefania, qui n’a pas encore dix ans, aussi. Combien de jeunes sauront préserver et transmettre la langue et la culture de ce peuple en sursis?
Lors de l’une de ces soirées contes dans lesquelles j’ai eu le sentiment de me rapprocher plus intimement de cette culture, j’ai appris que cette famille de Huaorani est entrée pour la première fois en contact avec «l’homme blanc» dans les années 1950, avec l’arrivée de missionnaires évangélistes. Apparemment, Caouiya garde un excellent souvenir d’eux, bien qu’il n’ait adopté aucun signe religieux et semble avoir conservé sa liberté spirituelle
Préserver et transmettre notre patrimoine culturel
Chanson traditionnelle en wao. Cet enregistrement vous plongera dans une soirée animée au fond de la jungle amazonienne avec Caouyia.
Les mondes physique et spirituel ne font qu’un
Les Huaorani ont une vision animiste de la vie, dans laquelle le monde physique et le monde spirituel ne sont pas séparés. Ils croyaient autrefois que le monde entier était une forêt (bosque), et ils se sont mis à utiliser le même terme, ömë, pour désigner les deux (le monde et la forêt). Il est vrai que la forêt tropicale représente depuis toujours l’essence de leur survie, à la fois physique et culturelle. Ainsi, pour ce peuple autochtone d’Équateur, Tout est Un et les esprits sont partout.
Rapport au temps
Pour les Huaorani, la notion du temps est particulièrement axée sur le présent. Ils ont peu d’obligations et de contraintes par rapport au passé et à l’avenir. D’ailleurs, ils n’utilisent qu’un seul et même mot pour exprimer les temps du futur: baane, qui signifie également «demain».
Une leçon de sagesse huaorani que nous avons tant de mal à mettre en pratique: ne pas (trop) se préoccuper d’hier ni de demain. Être ancré dans le présent, vivre ici et maintenant
Comment trouver l’équilibre?
Une authenticité biaisée
Cette immersion chez les Huaorani nous a permis de constater que tout n’est pas rose, ou en l’occurrence vert forêt. Nous sommes loin d’être dupes. Les membres de la famille de Caouiya (dont l’une de ses filles, la mère d’Estefania), sont disséminés et partis vivre à Coca ou encore plus loin. Il leur arrive de se réunir à l’occasion dans la forêt, mais ils reviennent surtout pour accueillir les touristes comme nous. Voulant conserver un semblant d’authenticité dans notre relation, et forcément intéressés par l’argent frais du touriste, ils resteront vagues par rapport à mes questions sur leur vraie vie. Certains pratiquent donc l’alternance entre vivre en ville, se retirer occasionnellement dans la nature pour se ressourcer, et accompagner des groupes de curieux dans la forêt pour en retirer quelques revenus.
Nourrissant un réel intérêt envers leur mode de vie, leur langue et leur culture, j’aurais aimé vivre cette expérience comme je l’ai fait dans d’autres voyages: adhérer pleinement à leur quotidien, manger comme eux et avec eux, en apprendre davantage sur les plantes indigènes, laisser une contribution qui ferait une différence notable pour eux sur le long terme. Est-ce possible de partager une expérience authentique lorsqu’il y a un intérêt pécunier? Cet intérêt est tout à fait légitime, mais loin d’être neutre.
Se tourner vers des activités lucratives
Au 21e siècle, les Huaorani peuvent-ils trouver un certain équilibre entre vie en symbiose avec la nature et vie moderne? Est-il possible de demeurer au fin fond de la jungle et de continuer à vivre en autarcie, sans téléphone, sans internet, coupé du reste du monde?
Actuellement, si la plupart des Huaorani continuent de pratiquer l’autosuffisance, certains se consacrent aussi à des activités lucratives de tourisme ou de travail salarié au sein même des compagnies pétrolifères qui ont détruit une partie de leur environnement. D’autres familles se tournent vers la production artisanale (poterie, tissage, chocolaterie). Des activités qui gagnent du terrain sur les plans national et international.
Les maux de la vie moderne… et ancestrale
Parmi les aspects moins reluisants, les guerres internes entre clans huaorani perdurent et ont fait des morts peu de temps avant notre visite. Cela, ils nous en ont parlé ouvertement. Des recherches m’ont permis de constater que, comme dans toute société ou presque, la violence, l’appât du gain, l’alcool et la prostitution (très active dans la ville de Coca) sont aussi présents dans la vie quotidienne de ce peuple.
L’écotourisme: poison ou opportunité?
Mon séjour avec les Huaorani a été si court qu’il ne me permet pas de bien appréhender ce qu’est la réalité de ce peuple autochtone aujourd’hui. De plus, cette immersion a fait surgir des questions éthiques: quel impact laissera notre venue? Venir ici en nous prenant pour des aventuriers de l’arche perdue est-il un geste purement égoïste, voire égocentrique? Le tourisme est-il pour les peuples autochtones qui vivent reculés un poison à retardement?
Par exemple, afin d’exprimer notre gratitude, nous nous sommes demandés quels cadeaux offrir sans dénaturer leur culture? Naïve, je suis arrivée avec des capteurs de rêve artisanaux, fabriqués au Canada. Nos hôtes en ont paru sincèrement touchés. Par contre, ce sont des objets de plus. Et l’odeur des billets leur est-elle plus enivrante? Mon ami Jean-Pierre me confiait que Caouiya enviait son sac à dos. Mais s’il lui offre, Caouiya va-t-il arrêter de tresser des sacs avec des feuilles de palmier à portée de main, en circuit plus que court et zéro déchet?
Comment trouver une issue positive aux aspects négatifs d’une économie dominée par l’or noir, par la coupe excessive du bois, bref l’argent engrangé rapidement et l’épuisement des ressources naturelles, qui a creusé la tombe de plusieurs êtres vivants (humains, animaux, végétaux) dans cette région du monde? Dans le cas de l’Équateur, le tourisme est une opportunité permettant de générer des revenus, mais pas n’importe comment.
Développer sans dénaturer
En effet, seules des pratiques éthiques et strictes sur le plan environnemental seront viables sur le long terme. Respecter l’isolement des peuples qui désirent rester loin de tout contact, offrir aux familles qui veulent accueillir des touristes des revenus justes et équitables (ni pas assez, ni trop pour ne pas créer de déséquilibre), mettre en valeur les aires protégées et en créer de nouvelles… Ce sont quelques-unes des solutions qui permettront de développer un tourisme écologique encadré, gage de préservation de ce peuple et de son riche écosystème.
Le mot de la fin: entre vulnérabilité et éblouissement
Vivre cette immersion inouïe dans la forêt amazonienne d’Équateur a suscité chez moi un sentiment de vulnérabilité, une appréhension de l’inconnu et de l’aventure, mais aussi un éblouissement devant la forêt à perte de vue, majestueuse et, pour moi, hospitalière. À plus de dix heures du premier village, dans des conditions de vie rustiques, je n’ai pas souffert d’isolement et me suis sentie en totale confiance avec le peuple huaorani.
Je ne peux que recommander d’y séjourner comme nous l’avons fait, en minuscule groupe, avec grand respect, humilité et attention. Avec un intérêt sincère envers leur culture. Sans oublier de demander systématiquement la permission de photographier et de filmer. Ne rien considérer comme acquis. Avec une approche écoresponsable et sans trace, une conscience de touristes conscients du grand privilège d’être là, de partager tout cela avec une famille autochtone huaorani. Espérons que notre passage les aura enrichis humainement comme nous, qu’ils auront apprécié nos échanges, nos efforts pour les comprendre, nos chansons et rires à l’unisson, et notre curiosité un peu enfantine.
Les peuples natifs vivent en communion avec leur milieu, toutes leurs cellules sont en phase avec la Terre nourricière.
– Michel Tarrier (entomologiste, écologue, philosophe de l’écologie et auteur de Nous, peuple dernier)
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Références
- Culturas Ecuatorianas Ayer y Hoy. Lilyan Benítez y Alicia Garcés. Ediciones Abya Yala. Quito, Ecuador, 1998.
- Mundos Amazónicos, Fundación Sinchi Sacha. Quito, Ecuador, 1992.
- amazonfrontlines.org
- etniasdelmundo.com
- ecociencia.org
- geo.fr
- positivturismo.com
- abyayala.nativeweb.org
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Crédit photos: Florence Bourg, à l’exception de la photo à la une.