
Privilégier le tourisme local pour un effet papillon positif
À l’heure où nous sommes nombreux à subir le fait de ne plus pouvoir voyager à l’international, certaines personnes en ont fait le choix et optent pour un mode de tourisme local et plus conscient. Entrevue avec Hubert Corbeil, citoyen qui place l’impact social au cœur de sa vie.
Hubert, vous avez fait le choix de ne plus prendre l’avion. Quelles ont été vos motivations pour prendre cette décision? Et quel est votre rapport au voyage?

Nous avons en effet fait le choix, en famille, de ne plus voyager à l’international. Nous sommes de jeunes parents de deux filles. Cette décision a été prise il y a plusieurs années, par souci de cohérence environnementale, sociale et même économique.
Nous avons donc fait beaucoup de transformations: nous ne mangeons plus de viande, nous achetons en vrac, nous favorisons un mode de transport actif (marche, vélo). Nous avons fait un ensemble de démarches pour réduire le plus possible notre impact sur l’environnement, mais, rendu à la fin de l’année, si nous faisions un voyage à l’international, cela venait annuler tous nos efforts.
Je voulais donc que mes actions soient alignées avec mes idéaux.
Ensuite, j’ai eu une deuxième piste de réflexion par rapport à une certaine forme de tourisme, c’est que je n’achèterai jamais un forfait tout inclus, car cette industrie n’est pas acceptable pour moi. On fait des choix d’acheter bio, local, équitable, puis on va dans un pays qui brise des écosystèmes (parcs immobiliers, voire tourisme sexuel). Je suis très conscient que ma propre décision n’aura pas d’impact sur toute l’industrie du tourisme, mais la chose la plus importante pour moi est d’être en cohérence avec mes valeurs et avec mes besoins.
Pensez-vous que nous pouvons avoir un réel impact en repensant notre relation au tourisme?
Je fais ce que je fais à mon échelle et si quelqu’un s’y intéresse, tant mieux, cela aura eu un impact multiplicateur. Par exemple, je me suis mis à faire du compost; j’ai parlé du sujet autour de moi, de ce que nous faisons à la maison: cela a eu une influence sur mes parents, sur des collègues de bureau… L’un d’eux m’a confié: «Après avoir discuté avec toi, je ne pouvais pas ne pas le faire!» Alors, oui, cela crée des impacts qui, à leur tour, créeront d’autres impacts. C’est l’effet papillon positif.
J’ai un crédo qui est : «Penser global, agir local». Ce n’est pas que je n’aime pas voyager, découvrir d’autres cultures et que je suis refermé sur moi, loin de ça. Mais il y a des modèles de voyage qui ne me conviennent pas: on nous vend du rêve et on pense qu’on a besoin de voyager. Si on a besoin de liberté, de se reposer, il y a d’autres moyens d’y parvenir. En fait, ce n’est pas juste notre relation avec l’industrie du voyage que j’appelle à repenser, à nous réapproprier, c’est notre rapport à la consommation.
Comment pouvons-nous rester connectés à nos besoins sans céder à l’impulsion du voyage exotique, au soleil?

Le voyage tout compris dans le sud offert à rabais pour le Black Friday, c’est le contre-exemple de ce que je veux vivre! En période de confinement, beaucoup se magasinent un voyage au soleil. Nous pouvons nous demander: est-ce qu’on a vraiment besoin de ça? Pourquoi? Encourageons-nous une industrie durable dans le temps?
Et si, au cours des derniers mois, des personnes ont dû annuler leurs voyages, c’est peut-être l’occasion de réaliser qu’il y a des moyens d’être plus créatifs d’occuper notre temps. Rester dans son pays, ça ne crée pas de dépression en soi! Nous partageons tous la même base de besoins humains [N.D.L.R. cf la pyramide de Maslow] et les vacances sont souvent associées à notre besoin de repos, de nous ressourcer, de découvrir. D’ailleurs, la base de la communication consciente ou CNV, c’est d’identifier les besoins en nous. Nous pourrions donc prendre le temps de nous y connecter . Nous pourrions alors nous demander: quel est le meilleur moyen pour moi d’y répondre?
Concrètement, comment avez-vous passé vos dernières vacances et comment entrevoyez-vous les prochaines?
L’été dernier, nous sommes allés à St-Ubalde, une municipalité qui a entre autres réalisé un projet de forêt nourricière citoyenne. Comme je l’ai mentionné, nous sommes une jeune famille avec deux filles, dont une de quelques mois. Ma plus grande fille était tellement heureuse de pouvoir découvrir et cueillir elle-même les fruits! On y est retourné presque tous les jours de notre passage. Ce séjour, à 1h30 de chez nous, a été une véritable source de bonheur, de réconfort, et nous a permis de décrocher.

À l’avenir, on va continuer de voyager autour de chez nous, de découvrir ce qu’il y a ici, au Québec, d’apprécier les choses simples. Je n’ai pas besoin d’aller à Disney avec mes filles pour qu’elles s’épanouissent. On va continuer de sillonner le Québec, que ce soit en Gaspésie, sur la Côte Nord, dans le fjord du Saguenay, à Montréal ou dans la nature à St-Ubalde… ça ne nous empêchera pas d’aller au Nouveau-Brunswick non plus, par exemple… ce choix s’inscrit vraiment dans une perspective de responsabilité sociale et environnementale.
Hubert, riche de ces expériences, qu’aimeriez-vous qu’on retienne de ce choix?
Il y a dix ou quinze ans, on ne se posait pas toutes ces questions-là sur notre impact environnemental, c’est sûr.
Avant d’avoir les enfants, on a fait des voyages à l’étranger et on ferait différemment aujourd’hui, mais on ne se juge pas de les avoir faits – ce sont des expériences riches aussi.
Étrangement, ma mère, qui était cadre au gouvernement, a choisi pour son projet de retraite de devenir… accompagnatrice de voyages! Elle carbure aux projets et aux voyages dans le monde, et je respecte ça, je l’écoute. D’ailleurs elle paye des crédits carbone et elle réinvestit les pourboires qu’elle reçoit pour compenser son empreinte écologique; c’est une décision certainement influencée par ses fils.
Avec ma famille, peut-être que l’on voyagera de nouveau à l’étranger un jour, mais selon des balises environnementales très précises. Ce qui est très important à mon avis, c’est de répondre à des besoins d’une façon qui soit cohérente pour soi, en respect de la nature et de la Terre. Penser à notre impact collatéral. Il est essentiel d’être cohérent et conscient de ce que l’on croit et de la trace que l’on veut laisser dans le monde.
Une chose à retenir, peut-être, serait de prendre du recul lorsqu’on envisage nos vacances. Est-ce que je suis juste un consommateur, ou une personne qui réfléchit à son impact de voyager? Ai-je envie de voyager en conscience? Quelle forme de tourisme me représente?
D’ailleurs, le slogan de votre magazine «être bien, vivre bien, ensemble» me rejoint, il dénote notre besoin d’alignement avec nos valeurs, la recherche de sens dans ce qu’on fait.
Hubert Corbeil et sa famille incarnent à merveille cet effet papillon positif. Et si nous prenions quelques instants en famille, pour redéfinir notre rapport au tourisme, local, national ou international, et quels besoins nos vacances viennent réellement combler, durablement?