L’accès à la nature: un droit pour tous?
Marie-Pier Jolicoeur, doctorante en droit à l’Université Laval, nous fait découvrir un nouveau thème au cœur des questions de droits, de bien-être et de l’autonomie: l’accès à la nature comme enjeu social et juridique au Québec. Elle s’est entretenue avec sa collègue, Rachel Nadeau, sur les questions qui touchent au droit de l’environnement et aux droits fondamentaux. Qu’ont-elles à nous révéler sur ce sujet?
La nature, source de connexion à l’instant présent
Se balader en forêt et entendre le chant des oiseaux ainsi que le silence apaisant de la nature dormante en hiver.
Marcher au bord de l’océan et sentir le sable chaud sous ses pieds en été. Voilà des façons de pratiquer la pleine conscience en action au quotidien. En effet, il a été largement démontré que la nature nous permet de nous connecter à ce fameux moment présent: «ce lien entre le monde et nous, c’est le cœur même de la pleine conscience», explique le psychiatre Christophe André (André, 2014).
La méditation comme une rencontre sereine avec la réalité, le monde et sa beauté…
la sensation de bien-être que la nature procure, cette dernière a aussi des effets positifs sur notre santé physique et mentale.
Ce lien entre le monde et nous, c’est le cœur même de la pleine conscience.
Christophe André, psychiatre
Rachel, pourquoi s’intéresser à l’accès à la nature aujourd’hui?
En plein cœur du premier confinement rattaché à la pandémie de la Covid-19, en 2020, les restrictions d’accès aux parcs et autres espaces publics nous ont fait réaliser à quel point ces endroits étaient importants. Pour ma part, à l’époque, je demeurais tout près du parc de la Gatineau, au Québec, qui est demeuré fermé pendant trois mois. Vivant dans un quartier caractérisé davantage par la présence de béton que d’arbres, je me rappelle avoir cherché, avec une petite dose de désespoir, un substitut aux parcs nationaux où je pourrais tout de même aller profiter de l’extérieur et voir quelques espaces verts pour le bien que cela me procure.
Ce réflexe que plusieurs ont eu était tout sauf irrationnel: plusieurs chercheurs s’intéressent aux bénéfices sur la santé des contacts avec la nature, et les résultats s’avèrent concluants. Selon une revue de la littérature réalisée en 2021 par la SÉPAQ (Société des établissements de plein air du Québec), les interactions avec la nature réduisent l’anxiété, la fréquence cardiaque et la pression artérielle ainsi que les niveaux de cortisol, qui influencent positivement la réponse au stress [1].
L’Institut national de la santé publique du Québec s’est de son côté intéressé à cette question en 2017, et ses conclusions vont dans le même sens. D’ailleurs, en offrant des lieux pour faire de l’activité physique, les espaces verts ont aussi une influence positive sur la réduction de l’obésité [2].
Aujourd’hui, des médecins font même des ordonnances de doses de nature! Le Programme PaRx, créé par la BC Parks Foundation, permet à des professionnels de la santé de prescrire l’accès des cartes d’accès à Parcs Canada à leurs patients (PaRx, A Prescription For Nature). [3]
C’est intéressant et révélateur des effets importants que cela peut avoir sur notre santé! Avec tous les espaces naturels que nous avons au Québec, pourquoi est-ce un enjeu d’y avoir accès?
Cependant, la réalité est plus nuancée. Particulièrement pour ceux qui demeurent dans des milieux urbains et ne possèdent pas d’automobile, l’accès à plusieurs espaces naturels devient rapidement complexe. Cet enjeu est d’ailleurs plus grand dans le sud du Québec, qui possède moins de milieux naturels protégés [4].
Et en quoi précisément cet enjeu diffère-t-il selon les régions?
En raison des activités humaines, par exemple le développement résidentiel et commercial, les milieux naturels du sud du Québec sont de plus en plus sous pression, et des écosystèmes comme les milieux humides disparaissent rapidement. Ces activités viennent aussi affecter les boisés urbains, réduisant la présence de la nature à proximité des milieux de vie.
Un autre exemple qui a retenu l’attention des médias dans les dernières années est l’accès aux lacs. La présence de nombreuses propriétés privées autour de ces derniers ainsi que les frais exigés par certaines municipalités pour utiliser les rampes d’embarquement limitent l’accès aux lacs pour ceux qui aimeraient y pratiquer des activités de plein air comme le canot, le kayak ou la voile.
Parlant d’accès réservés aux propriétaires, existe-t-il, plus largement et pour tous, un droit d’accès à la nature au Québec?
Tous ces enjeux rattachés à l’accès à la nature, et à ses bénéfices, peuvent effectivement amener les juristes à se demander s’il existe des protections juridiques pour préserver cet accès. Et la réponse courte n’est pas la plus encourageante: sommairement, il s’agit d’une question compliquée.
Au Québec, le droit de vivre dans un environnement sain et respectueux de la biodiversité est reconnu dans la Charte québécoise des droits et libertés.
La Loi sur la qualité de l’environnement reconnaît aussi ce droit, mais ces deux textes législatifs apportent une nuance à cette protection: le droit à un environnement sain est reconnu «dans la mesure prévue par la loi et les règlements».
Rien n’est jamais noir ou blanc en droits fondamentaux. Concrètement, qu’est-ce que cette limitation implique dans le cas de l’accès à des espaces de nature?
Cette limitation fait donc en sorte qu’en réalité, ce n’est pas un droit qui pourrait permettre de contester une mesure qui viendrait limiter le droit à un environnement sain. Par exemple, en raison de la façon dont sont rédigés les articles de ces deux lois, il ne serait pas possible de contester une autorisation d’un projet de développement immobilier pour la simple raison qu’il nuit à mon droit d’accès à la nature. Si le projet respecte les conditions légales et réglementaires, même si ce dernier vient affecter négativement un boisé urbain, le projet a de bonnes chances de pouvoir être réalisé.
Il existe d’autres lois intéressantes, dont la Loi affirmant le caractère collectif des ressources en eau, qui reconnaît que l’eau de surface et l’eau souterraine à l’état naturel sont des ressources faisant partie du patrimoine commun de la nation québécoise. Il s’agit cependant, dans l’état actuel des choses, d’une disposition davantage symbolique que possédant une réelle force de loi pour influencer l’accès à l’eau.
En somme, existe-t-il vraiment un droit d’accès à la nature au Québec?
Pour l’instant, on peut dire que dans l’état actuel du droit, le droit d’accès à la nature n’existe pas directement au Québec, mais il existe des exemples inspirants ailleurs! En Europe du Nord, certains pays, dont la Suède, l’Islande et la Norvège, permettent l’accès et la pratique d’activités de plein air sur toutes les terres, peu importe qu’elles soient publiques ou privées. La nature est donc considérée comme un bien collectif et partagé, à laquelle tous ont, en théorie, accès. [5]
Rappelons-le, certains pays permettent l’accès et la pratique d’activités de plein air sur toutes les terres, qu’elles soient publiques ou privées.
La nature est donc considérée comme un bien collectif et partagé, à laquelle tous ont, en théorie, accès.
Nous aurions effectivement intérêt à nous en inspirer. Merci beaucoup, Rachel,de nous avoir informés sur ce sujet passionnant. J’ai hâte d’entendre parler des développements à venir sur cette question, qui, dans un contexte de crise sanitaire qui perdure, touche de très près notre santé mentale et physique.
Sources
[1] Les bienfaits de la nature sur la santé globale, SÉPAQ, mars 2021, en ligne: https://www.sepaq.com/resources/docs/org/autres/org_icm_rapport_nature_sante_globale.pdf.anté environnementale et de la toxicologie, Institut national de santé publique du Québec, mars 2017, en ligne: https://www.inspq.qc.ca/publications/2265.
[3] Annonce d’une nouvelle collaboration entre PaRx et Parcs Canada, janvier 2022, en ligne: https://www.parkprescriptions.ca/blogposts/announcing-a-new-collaboration-between-parx-and-parks-canada-fr. [4] Livre blanc pour la protection de la biodiversité au sud du 49e parallèle, Philippe Auzel et al., novembre 2021, en ligne: https://livreblanc.ca/wp-content/uploads/2021/11/Livre-blanc_un_plan_sud_pour_le_Qc.pdf. [5] Le droit d’accès à la nature en Europe du Nord: partage d’un capital environnemental et construction d’un espace contractuel, Camille Girault, 2018, hors-série numéro 29, Vertigo.la Une par Laura Lefurgey Smith, parc régional de la rivière Capilano, Canada.
Les autres photos sont fournies par Marie-Pier Jolicoeur.
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