Jeune fille souriante et attentive lors d'un atelier de philo avec les enfants

Faire de la philo avec les enfants, pourquoi et comment?

Florence Bourg Action, Agir au quotidien, Été 2020

Temps de lecture: 7 minutes

Faire de la philo avec les jeunes, à quoi ça sert?

Les enfants sont des philosophes par nature. Un enfant de trois ans qui questionne constamment «Pourquoi?», ça vous dit quelque chose? Pourtant, est-ce que nous les encourageons à poser des questions? Est-ce que nous prenons vraiment le temps de poursuivre la conversation avec eux? Le jeune cerveau qui veut comprendre les normes établies, qui nous confronte, qui nous demande des justifications et raisons, répond à une quête instinctive de sens. Et ce besoin de sens est si riche pour son développement personnel. Il peut être encouragé et canalisé afin de prendre une direction constructive. C’est là que les animateurs d’ateliers de philosophie entrent en jeu.

En fait, pourquoi faire de la philo avec les jeunes? Et comment? Ce sont quelques-unes des questions que Zenflo a posées à Sébastien Yergeau, un enseignant passionné.

Portrait de Sébastien Yergeau, prof du secondaire qui explique comment et pourquoi faire de la philo avec les enfants

Par quoi commencer une entrevue sur la philo? Par une question, et par une définition bien-sûr! Alors Sébastien, qu’est-ce que la philo pour enfants?

Pour moi, c’est avant tout une pratique qui permet aux jeunes de penser par et pour eux-mêmes, avec et grâce aux autres.

Pourquoi faire de la philo avec les enfants?

Tout d’abord, cela leur permet de penser.

On leur offre un contexte, un lieu, un moment pour penser. Une façon de faire aussi, afin d’exploiter toute cette curiosité qui les habite. On leur offre la possibilité de se mettre au défi de penser. De penser comment? En allant plus loin, pour dépasser leur opinion première, pour atteindre un niveau supérieur.

On encourage les jeunes à se faire leur propre opinion et à l’argumenter.

Ensuite, l’intérêt des ateliers de philo c’est de le faire avec les autres. C’est important d’avoir mon point de vue mais en relation avec les autres. Sinon je peux rapidement tomber d’accord avec moi-même! Être confronté, permettre aux autres de compléter mon idée, et ainsi m’amener plus loin. Les autres me remettent en question, me proposent d’autres possibilités, m’enrichissent. En interaction avec les autres, on développe une pensée plus réfléchie, constructive.

Le troisième intérêt est que cela nous permet de mieux nous connaître comme personne. Comme individu faisant partie d’un groupe. Qu’est-ce qui est acceptable pour moi? À quoi je m’identifie?
Cela nous pousse à aller à la rencontre de l’autre. Un atelier de philo, c’est rencontrer la différence, c’est créer quelque chose de commun avec les autres.

Et enfin, pourquoi faire de la philo quand on est enfant ou adolescent? Parce que c’est le FUN! Pour le plaisir : la philosophie, c’est réfléchir, concevoir le monde qui nous entoure, savoir ce que les gens autour de nous pensent…

Quelles compétences cela développe-t-il chez l’enfant?

L’enfant va développer quatre compétences principales :

  • Ses compétences sociales : il apprend à être attentif aux autres. Il devient conscient de la place des autres dans le groupe. Il développe ses habiletés d’écoute, d’ouverture, de participation et de collaboration.
  • Ses compétences communicationnelles : il va être capable d’échanger des idées plus claires, de comprendre, d’interagir, d’organiser sa pensée pour former un tout cohérent. Il va développer sa confiance à prendre la parole devant un petit groupe.  Il va sortir du «j’argumente pour avoir raison». Dans les ateliers de philo, une des règles est d’offrir un contexte sécurisant basé sur le respect, l’entraide.
  • Ses compétences cognitives ou intellectuelles : il va pousser sa réflexion en développant des habiletés comme se poser des questions, donner des causes, des raisons, trouver des conséquences… et organiser tout cela ensemble.
  • Ses compétences philosophiques : le jeune va développer des outils qui lui permettent de donner du sens, une signification aux choses et aux événements. Il se questionne sur le monde pour mieux comprendre qui il est et ce qu’il se passe autour de lui.

Un jour, une de mes élèves a fait cette comparaison et je la trouve très juste :

«La philo, c’est comme une bibliothèque. Toutes les expériences que l’on vit sont comme des livres, et la philo nous permet de mettre de l’ordre dans nos expériences. Elle permet de voir comment notre bibliothèque personnelle est organisée, de reclasser nos livres et d’avoir plus de plaisir dans cette nouvelle bibliothèque-là.»

Nos expériences sont toujours en lien avec les autres. Donc, discuter ensemble c’est établir de façon collaborative notre propre bibliothèque. Avec notre propre système de classement : par ordre alphabétique, par couleur, etc.

Aider les jeunes à trouver du sens tout en s’amusant, c’est possible! Oui mais comment?

Comment faire de la philo avec des enfants?

Enfant assise au sol et discutant philo avec des adultes.

Il existe plusieurs approches, donc autant de façons de faire. Dans l’approche que je préfère, il y a trois éléments centraux :
En premier lieu, apprendre à dialoguer.
Logos veut dire raison et dia vient de deux. Donc un dialogue, ce sont deux raisons qui se rencontrent pour créer autre chose. Il y a interaction, échange, partage.

La deuxième chose importante, c’est que ce dialogue s’organise autour de la recherche. Il n’y a pas de réponse toute faite! On veut approfondir la réflexion des jeunes, leur permettre d’évaluer à leur façon. «Éveiller avec des questions plutôt qu’endormir avec des réponses», a si bien dit Mathieu Gagnon, professeur en sciences de l’éducation à l’Université de Sherbrooke, et instigateur du microprogramme de 2e cycle en philosophie pour enfants.


«Éveiller avec des questions plutôt qu’endormir avec des réponses.»

– Mathieu Gagnon


Le troisième élément, c’est la philosophie en tant que telle. L’origine du mot philosophie signifie l’amour de la sagesse. Pour moi, c’est surtout le processus de recherche de sens et de vérité. Être dans une quête de vérité non pas avec un grand V, mais une vérité qui soit significative pour soi.

Par exemple, on peut discuter avec les enfants sur des sujets comme «Est-ce qu’il faut toujours faire ce que nos amis nous demandent?» Ce sont des questions qui préoccupent directement les jeunes. On les invite à pousser la réflexion : «Qu’est-ce que cela veut dire «toujours écouter»? De quoi cela peut-il dépendre?» Cette démarche va donner beaucoup de signification à l’expérience des jeunes.

On peut aussi les amener à se demander «Qu’est-ce qui est vrai? Bien, mal? Beau, logique? Juste, injuste?» Ils vont se mettre à discuter sur certains critères comme l’éthique, l’esthétique, etc.
En tant qu’animateurs, on veut donc les outiller afin qu’ils soient capables d’aborder ces grandes questions pour rechercher et trouver, ensemble, des réponses qui font sens.

Quels sont les outils déclencheurs, s’il y en a?

Nous utilisons des outils déclencheurs comme une histoire, un conte philosophique, un sujet d’actualité, l’art, la musique, un film… Nous formons une «communauté de recherche philosophique» (CRP) pour réfléchir, ensemble, sur les enjeux présents dans cet élément déclencheur.

Les jeunes vont soulever des questions à partir de leurs propres préoccupations : «Qu’est-ce qui me questionne, qui est bizarre, qui m’interpelle?» Et j’insiste sur le fait que c’est le jeune qui pose la question. Je ne fais que les aider à penser par et pour eux-mêmes. Chacun partage sa préoccupation sous forme de question, et ensuite on choisit démocratiquement de quoi on va discuter.

Le groupe se donne ce point de départ pour la recherche. L’animateur les accompagne ensuite et les aide à développer leurs habiletés de penser. Il est important de ne pas orienter la discussion mais plutôt de les mettre au défi de développer une pensée de plus en plus critique, créative et attentive.

Existe-t-il d’autres techniques facilitant cette communauté de recherche?

Enfants qui méditent lors d'un atelier de philo avec les enfants

Oui, il peut y avoir la pratique de l’attention qui précède un atelier de philo pour enfants, mais ce n’est pas systématique. Certains animateurs vont en faire pour permettre aux jeunes de se centrer. C’est une façon de cibler notre regard vers quelque chose de précis, comme sa respiration. Focaliser l’attention est une préparation à la communauté de recherche philosophique, car nous cherchons à focaliser sur une réflexion. Nous voulons diriger l’attention vers un objet qui va être la question de départ.

La pratique de l’attention nous met dans un état propice à discuter, en étant dans le moment présent. Si certains jeunes sont agités, on n’aura pas la même qualité d’échange. La pratique de l’attention met donc en place un cadre favorable au dialogue.
Elle peut être faite à tout moment, avant ou après; c’est très bénéfique en cours du processus aussi.
Les fois où j’en fais avec mes groupes, je vois vraiment la différence dans leur capacité à être présent à l’autre.

La conclusion de Florence

Devenir des êtres plus conscients, développer son discernement, son écoute active, sa tolérance aux opinions des autres : c’est certainement le profil de citoyens que nous voudrions voir habiter la société de demain.

En savoir plus sur Sébastien Yergeau

Études et enseignement
Sébastien Yergeau est titulaire d’un baccalauréat et d’une maîtrise en philosophie de l’Université Laval (Québec). Il détient aussi un baccalauréat en enseignement au secondaire de la même université. Il possède une large expérience de pratique de la philosophie avec les enfants et de formation d’animateurs d’ateliers de philo pour les jeunes dès la création de l’organisme SEVE, Savoir être et vivre ensemble.

Depuis 2005, il enseigne la philosophie à l’école secondaire Les Etchemins, à Charny, au Québec. Cette école offre aux adolescents de 15 à 17 ans l’occasion de faire de la philo une fois par semaine. Et les élèves comme l’enseignant ne s’en plaignent pas. «J’ai la chance de pouvoir les suivre dans cet apprentissage pendant deux années de suite, ce qui vaut de l’or!»

Recherche et colloques
Désireux de faire avancer les connaissances sur le plan pédagogique de la philosophie pour enfants, Sébastien est aussi très impliqué dans la promotion et la recherche, notamment pour l’Université de Sherbrooke, l’Université Laval et l’Université de Rimouski. «Mon but est de contribuer à faire connaître la philo au secondaire, à travers des formations en Belgique en France. C’est en demande dans le monde.»

De plus, Sébastien organise depuis 2012 un Colloque international de philosophie pour adolescents, qui réunit 500 jeunes provenant de toute la francophonie.

Il a coécrit avec Mathieu Gagnon le livre La pratique du dialogue philosophique au secondaire. Procurez-vous le auprès de Les libraires, notre réseau de librairies indépendantes affilié.

L’expérience de l’auteure avec SEVE

«J’ai connu Sébastien Yergeau lors d’une formation donnée par SEVE (Savoir être et vivre ensemble) pour devenir animatrice d’ateliers de philo pour enfants. Cet organisme de bienfaisance supporté par l’UNESCO, cofondé par le philosophe et auteur Frédéric Lenoir, a adopté l’approche de la «communauté de recherche philosophique» (CRP). J’ai eu le coup de foudre pour cette méthode, qui répondait à mes aspirations idéalistes (un monde meilleur, axé sur la tolérance, la bienveillance, le discernement et la responsabilisation). Coup de foudre aussi pour l’équipe d’encadrement hors pair, et parce que c’est une formation très pragmatique, offrant des outils concrets, des séances pour se pratiquer et des stages obligatoires. Elle est ouverte à tous. Et si cela a éveillé votre curiosité, je vous encourage à passer à l’action.»

– Florence.

SEVE est présente dans cinq pays.  Pour plus d’information :

Crédit photos: Association & Fondation SEVE

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