un enseignant vulnérable donne une classe virtuelle

Enseignants et vulnérabilité: comment prendre soin de sa santé?

Florence Bourg Hiver 2021, Inspiration, Témoignage

Temps de lecture: 11 minutes

Les mondes de l’éducation et de la formation ont été chamboulés par la pandémie et ont dû se réajuster très vite. Partout dans le monde, à tous les niveaux et pour tous les styles d’enseignement ̶ que ce soit dans le cadre scolaire ou dans une salle de sport ̶ l’année 2020-21 est et continuera d’être perturbée. Quel en est l’impact sur le bien-être physique et moral des enseignants? Leurs témoignages sont alarmants. Mais ils livrent aussi des pistes de solutions. Comment devenir acteurs d’une «pandémie de mieux-être au travail»?

Santé mentale: la face cachée de la pandémie

Sous le couvert de l’anonymat, des enseignants du Canada et de la France ont fait écho de leur situation et de leurs besoins. Adaptation constante en fonction des mesures sanitaires annoncées, augmentation de la charge de travail, manque de soutien, problèmes de santé mentale, ressources à bout, voire l’envie de tout plaquer…

enseignants vulnérables devant une classe de niveau primaire

Constats d’enseignants, syndicats et chercheurs

Les enseignants ont dû s’adapter en un temps record aux mesures sanitaires exigées ̶ parfois changeantes, parfois contradictoires ̶ les gouvernements explorant à tâtons les meilleures solutions.
Et parallèlement, les enseignants ont dû s’adapter aux besoins de leurs étudiants. En milieu scolaire, certains élèves ont accumulé un retard d’apprentissage depuis la première vague de la pandémie.

En plus de revoir les contenus de leurs cours et d’ajuster leur mode de diffusion (hybride ou à distance), le fait de devoir réaménager l’école, de désinfecter les classes et de s’assurer du respect des mesures sanitaires a grugé beaucoup de temps et d’énergie.

Besoin criant de temps et de soutien moral

Un besoin primordial des enseignants: plus de temps pour se préparer et se reposer. Les cours à distance qu’imposent le régime COVID exigent en effet davantage de temps en amont et en aval pour accompagner les étudiants. Des professeurs de cégep, membres de la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec, ont d’ailleurs tenu une manifestation en octobre dernier dans plusieurs villes du Québec. Leur revendication? Tout «simplement» plus de temps.

«Quand cette histoire de pandémie a commencé, je ne m’attendais pas à voir ma passion de l’enseignement comme professeur de yoga être mise à mal aussi brutalement. J’ai eu de l’aide financière oui, mais mon moral, lui, a souffert.» ̶ ̶ Professeure de yoga au Québec, Canada.

Enseignants de yoga vulnérables donnent un cours en ligne.

Des milliers de studios de sport, danse, yoga et autres loisirs ont dû mettre leurs activités sur pause. Les éducateurs ont dû restructurer leur offre de service vers des activités en ligne et s’ajuster aux mesures d’hygiène. Les propriétaires de studios sont souvent eux-mêmes les enseignants et doivent aussi gérer le stress lié au paiement de leurs factures et au manque de liquidités. Pour certains, c’est la cessation définitive de leurs opérations, abandonnant ou essayant de transférer leurs clientèles.

Surcharge de travail

«La situation est très difficile en ce moment pour les directeurs d’école en surcharge de tâches, et plus récemment, de responsabilités avec la COVID-19. Certains n’ont aucune décharge de temps pour leur travail de direction. On s’inquiète… surtout que le nombre de suicides était déjà en hausse en France depuis quelques années.» ̶ Une maîtresse des écoles (primaire), France.

Même constat de l’autre côté de l’Atlantique, où une enseignante du secondaire dénonce l’augmentation de la charge de travail. «Des tâches administratives se retrouvent à présent dans nos tâches.» Selon une psychologue scolaire, «Les zones grises liées au travail augmentent. De nouvelles tâches apparaissent, tout comme d’autres qui étaient autrefois liées à l’administration ou d’autres corps d’emploi.»

Dernièrement, la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec a quant à elle sondé ses membres afin de comprendre les effets de la pandémie sur leur travail et leur bien-être. La moitié des 2 429 enseignants sondés ont fait valoir que leur tâche avait doublé. Un répondant sur cinq a dit vivre une forme de détresse.

Croissance des élèves en difficulté et baisse des services spécialisés

Quand le nombre d’élèves ayant des besoins spécifiques augmente et que les services adaptés à ces élèves diminuent, ça coince. Ces tâches se retrouvent donc par défaut dans la cour des enseignants, conscience professionnelle oblige. «Avec un groupe en confinement et les autres en présentiel, c’est mouvementé. On s’adapte. Ce qui me préoccupe le plus est l’augmentation des élèves en difficulté d’apprentissage dans les classes régulières. On réduit les services directs à l’élève. Par exemple, le manque d’orthopédagogues et de techniciens en éducation spécialisée (TES). Les directions ferment des groupes en adaptation scolaire et ces élèves en difficulté se trouvent dilués dans des classes régulières.» ̶ Une enseignante au niveau secondaire 2 au Québec, Canada.

Absentéisme

«Des élèves sont absent.e.s parce qu’ils sont malades de la COVID ou cas contact. Il y aura potentiellement plus d’absences qu’une année « ordinaire ». De la même manière, des enseignant.e.s sont absent.e.s et nous le constatons partout, faute de personnels disponibles, les remplacements ne peuvent pas toujours être assurés.» ̶ Syndicat des enseignants SGEN-CFDT, France.

élèves du primaire portant un masque a l'école

Le climat est identique au Québec, où l’on a aussi constaté [sans avoir encore de données à notre disposition], que les remplacements de personnel et les congés de maladie ont augmenté au cours de la dernière année scolaire.

D’autres enseignants choisissent de s’absenter définitivement… en précipitant leur départ à la retraite.

Départs prématurés à la retraite

Aux yeux des syndicats et de résultats de recherche, le phénomène des retraites anticipées s’est accentué chez les enseignants québécois avec la COVID-19. La professeure Nancy Goyette, qui s’intéresse au bien-être des enseignants, a constaté que ce phénomène existait déjà, mais que la crise sanitaire l’a mis en exergue.

«Ce n’est pas surprenant, sachant qu’avant la pandémie, il y avait plusieurs enseignants qui n’étaient pas dans une santé mentale optimale.», a-t-elle confié à Radio-Canada. Madame Goyette est professeure au Département des sciences de l’éducation à l’Université du Québec à Trois-Rivières.

Dans le cadre de ses recherches, quelques enseignants lui ont rapporté que certains collègues avaient décidé de prendre leur retraite plus rapidement que prévu puisque le défi engendré par la pandémie en ce qui concerne leur tâche quotidienne était trop grand (source: ici.radio-canada.ca).

Dans un contexte de pénurie d’enseignants, la situation est donc très préoccupante.

Besoin de satisfaction intellectuelle et sociale

«Mes préoccupations quant à mon enseignement universitaire sont que mon bien-être se trouve troublé par la nécessité de passer vers des cours à distance dits hybrides (c’est-à-dire en partie synchrone en ligne et en partie asynchrone par des capsules vidéo narrées), alors que je privilégie l’enseignement présentiel en classe, surtout à cause de la matière pédagogique et des compétences à faire acquérir.

Cela exige plus d’efforts, surtout avec le flot de consignes, de requêtes et de sondages auxquels il faut répondre. Si cela continue ainsi, je vais probablement abandonner, n’y trouvant plus aucune satisfaction intellectuelle ni sociale. Ce n’est pas un caprice, car mis à part les problèmes techniques et la maîtrise des applications logicielles à apprendre qui grugent du temps sans gain pédagogique, je me demande si je parle dans le vide sans moyen de saisir l’attention des étudiant.e.s.» ̶ Un chargé de cours universitaire au Québec, Canada.

Pour appuyer ce besoin de sociabilisation et de revalorisation, des reportages menés à la rentrée de janvier 2021, ont démontré que les élèves et enseignants qui le pouvaient, en fonction des divers règlements, étaient heureux de se retrouver: «Ils [les enseignants] sont vraiment exaspérés d’avoir à parler avec des écrans, alors aujourd’hui on retrouvait nos classes, on retrouvait la qualité de la communication que l’on peut avoir quand on est en présence des élèves, souligne-t-il.» Richard Bergevin, président du Syndicat de l’enseignement de l’Estrie au Québec (source: ici.radio-canada.ca).

Comment enclencher une «pandémie de mieux-être au travail»?

Cette expression vient du Mouvement santé mentale Québec, dont la présidente a débuté une collaboration éditoriale avec notre magazine (lire l’article: Ressentir, c’est recevoir un message).

Des enseignants nous ont fait part de leurs convictions et une professeure-chercheuse suggère de nombreux outils.

Bouger seul ou en groupe: une source de bien-être physique et social

«Mes élèves ont énormément besoin de cours de yoga en groupe. Tous les témoignages que j’ai eus sur les bénéfices qu’ils retirent de cette pratique l’attestent. Le résultat est une meilleure santé physique globale telle que: diminution ou disparition des douleurs, meilleure gestion du stress, plus de calme, de bien-être, meilleure souplesse et force musculaire, moins de problèmes de santé, meilleure immunité, disparition des grippes et des rhumes, un meilleur moral et une énergie nouvelle.

Dans une société où l’anxiété et la dépression sont de plus en plus présentes, cette pratique est plus que salutaire. Et dans le contexte de crise sociale et économique actuelle, les gens ont d’autant plus besoin de prendre soin de leur santé physique et mentale. Beaucoup sont actuellement en détresse et le sport est souvent leur seule soupape.

Il est prouvé que l’activité physique, une saine alimentation, l’air frais, le soleil et les activités sociales favorisent une bonne santé physique et mentale, et chez les enfants un développement sain de leur être. Le stress et la sédentarité étant la principale source de maladie, toutes les mesures gouvernementales devraient aller en ce sens.» ̶ Professeure de yoga au Québec, Canada.

L’approche PERMA: changer de paradigme

En octobre dernier, Éducation physique et santé Canada (EPS Canada) a organisé un séminaire sur le bien-être des enseignants, intitulé Paying Attention to Teacher Well-Being. La docteure Sabre Cherkowski y présentait une perspective plutôt innovante aux problèmes de santé et de vulnérabilité des enseignants: le modèle PERMA.

Elle propose d’aborder le mieux-être des enseignants d’un point de vue organisationnel positif. Cette méthode repose sur une approche de cocréation, de coconstruction sociale vs l’état d’esprit négatif habituel, qui dénonce et souligne tout ce qui va mal.

La vitalité est toujours à découvrir. La façon dont nous abordons les choses est révélatrice.

– Dre Sabre Cherkowski

Comme la célèbre Légende du colibri qui ne renonce pas et fait sa part, goutte après goutte, pour éteindre l’incendie ravageant une forêt, la professeure Cherkowski invite toute personne œuvrant dans le milieu de l’éducation à être un colibri face aux changements et à l’incertitude.

Qu’est-ce qui fonctionne pour nous?

Tout est changement (surtout les consignes sanitaires!), et ce qui fonctionne aujourd’hui ne marchera peut-être plus demain. Alors, qu’est-ce qui marche actuellement pour moi, pour nous?
Quels collègues/personnes me font du bien? Quelle est leur attitude?
Il ne s’agit pas de tout voir avec des lunettes roses, mais de prendre du recul sur les problèmes et, surtout, de reconnaître que l’essentiel est de nous soutenir les uns les autres. 

Face aux changements et à l’incertitude, soyons des colibris les uns pour les autres.

Faire une enquête positive ou «Happy Hunting»

Au lieu de partir du fait de la liste de tout ce qui cloche et de trouver des solutions (le fonctionnement classique de notre mental), pourquoi ne pas partager des histoires sur ce qui va bien? En effet, échanger sur nos bons coups énergise, apporte de l’espoir et nous pousse à nous engager. Pour la professeure-chercheuse Cherkowski, cette habileté à sortir du mode pilote automatique «Je ne vois que ce qui ne va pas» nous permet d’appréhender notre environnement sous un nouvel angle et s’avère être une forme de pleine conscience ou mindfullness.

Créer des cercles vertueux 

Et si notre rôle, en tant que professionnel de l’éducation ou représentant.e syndical.e, était d’apprendre à positiver, d’encourager les collègues et de faire ressortir le meilleur de notre communauté. Et si chacun.e avait la même attitude? Imaginez le résultat!

chargé de cours universitaire offrant une classe virtuelle

La Dre Cherkowski nous invite non seulement à partager, mais aussi à célébrer les événements qui nous ont fait du bien: vous avez aidé quelqu’un, un élève vous a montré sa reconnaissance, vous a particulièrement touché ou a inspiré les autres, vous avez pris une pause pour aller marcher dehors… Quelles sont vos petites victoires du jour? Un enseignant témoigne dans la conversation du séminaire: «Pour moi aujourd’hui, c’est l’un de mes élèves qui m’a dit: vous faites partie de mon cercle de confiance.»

Qu’est-ce qui marche bien déjà, dans notre école? Comment le célébrer? Et quels trucs d’autres écoles pourrions-nous adopter?

S’observer avec compassion et prendre soin de soi

Lorsqu’on se sent particulièrement vulnérable, prendre une pause pour respirer peut également être une pratique quotidienne de pleine conscience bénéfique. Dans la journée, même si c’est aux toilettes ou dans la cour de récréation, il est toujours possible de prendre une minute pour faire son check in. Les pieds bien ancrés au sol, que ressentez-vous dans votre corps? Quelles émotions sont présentes? Sans chercher à comprendre pourquoi ni à résoudre un problème, juste observer ce qui est là, sans se juger.

La Dre Cherkowski nous invite à faire attention à soi en 3 étapes faciles: j’observe, je nourris, je maintiens (Noticing, Nurturing, Sustaining flourishing).

Soutien personnalisé pour le personnel scolaire: des exemples de réussite

Programme de coaching

Dans les Écoles Surrey en Colombie-Britannique (Canada)1, on a mis en place, dès le printemps 2020, un programme de coaching virtuel personnalisé, sous forme de rencontres individuelles. Cette initiative a été créée pour répondre à la pression accrue des dirigeants en temps de pandémie. Oui, la priorité a été de coconstruire des stratégies de résilience personnelle et de bien-être. Cependant, elle va plus loin que le soutien moral en période de stress et de gestion complexe. Elle a aussi pour objectif d’encourager le développement professionnel à long terme des membres de la direction d’établissements scolaires.

La confiance établie entre coach et membre de la direction fait en sorte que le coach est à la fois un confident et un partenaire de formation, qui est là pour écouter et pour répondre aux besoins spécifiques d’apprentissage du participant. Cette approche a été reçue avec enthousiasme. Elle a d’ailleurs été prolongée l’automne dernier et offerte à plus de 90 membres de la direction d’écoles de cette province.

À l’issue de ce programme de soutien, les dirigeants d’écoles ont témoigné:

  • être dans de meilleures dispositions pour gérer leur état émotionnel,
  • avoir appris des techniques de résilience,
  • mieux réussir à équilibrer vie professionnelle et personnelle, 
  • mieux gérer les conflits et les relations qui sapent l’énergie,
  • aborder l’année 2021 avec une vision plus claire.

Mentorat pour les profs

mentorat pour enseignants vulnérables

Les enseignants ont pour vocation de soutenir les élèves dans leurs apprentissages, mais qu’en est-il du soutien de l’enseignement des enseignants? De cette nécessité est né «Mentorat 36», une initiative qui met en relation de nouveaux enseignants avec des enseignants expérimentés afin de naviguer de façon plus fluide dans les eaux de leur première année d’enseignement. Ce programme a fait ses preuves pour établir une culture de collaboration, soutenir la croissance professionnelle des enseignants et développer un sentiment d’appartenance.

Enseignants en santé = élèves en santé

Bien entendu, des élèves et étudiants en santé et des services adaptés à ceux qui en ont besoin contribueront à améliorer la santé de leurs enseignants. La psychologue en milieu scolaire Johanne Bernier prépare un article sur le sujet pour Zenflo dans son édition printanière (à paraître le 5 mars).

Cette dernière suggère d’obtenir des budgets de perfectionnement pour le personnel qui soient adéquats, ce qui n’est actuellement pas le cas. De plus, mentionne-t-elle, le soutien ou l’offre de formation sont souvent orientés en fonction des besoins de l’établissement ou des décideurs et non du personnel. Et il y a des attentes implicites à ce que ça se fasse en dehors des heures du travail.

Et si la pandémie était une opportunité?

Donnons le dernier mot à cette enseignante de yoga, selon qui la crise sanitaire serait une opportunité pour construire des bases plus saines. «Je pense que cette épreuve est une merveilleuse occasion pour les peuples du Québec et du monde de reconstruire une société sur de meilleures bases, plus saines, plus vraies et surtout plus humaines. Une occasion de devenir des êtres plus autonomes et souverains, faisant de nous les architectes d’un monde meilleur. Comme l’a si bien dit Abhinavagupta, [maître indien en yoga, philosophe, poète, musicien et dramaturge du 11e siècle]: ʺLe yoga se révèle lorsque s’arrête le flot du souffle. » Profitons donc de ce moment d’arrêt pour faire révéler le meilleur de nous-mêmes.»

1 Les Écoles Surrey (Surrey Schools) regroupent 101 écoles élémentaires, 20 écoles secondaires, trois centres de formations aux adultes, ainsi que des programmes de formation à distance.

Sources

Ressources

En français:

En anglais seulement:

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