Carnets de voyage: dialogue entre deux artistes d’un océan à l’autre

Catherine Evrard et Cloe Marcoux Dialogue, Été 2021, Inspiration

Temps de lecture: 5 minutes

Ces deux personnes ne se connaissent pas. L’une découvre un carnet dans un train de banlieue parisienne. C’est un carnet de voyage. Elle-même s’étant mise à créer des carnets de voyage, elle est touchée et intriguée. Curieuse, elle la retrouve et entame avec elle un échangeDe cette situation de départ fictive, une vérité cependant: sans révéler leur identité, ses deux carnettistes ont correspondu sous un pseudonyme et découvrent leur identité en même temps que vous, à la publication de ce dialogue…

Les carnettistes ont correspondu sous les pseudonymes de Nectarine et En dialoguant.

En dialoguant

La découverte

Parfois il suffit d’un petit rien pour illuminer une journée morose. Quand j’ai découvert ton carnet, coincé entre mon siège au velours usé et la paroi lisse et froide de ce train de banlieue parisienne, c’est un cadeau multicolore que le hasard m’a offert. Comme la porte d’un autre monde, il s’est ouvert sur la silhouette d’une femme en tenue orientale, tenant dans ses mains un bol fumant. Des volutes peintes, ocre et safran, où se devinent quelques phrases, j’ai imaginé des parfums épicés et la musique d’un poème.

Alors je me demande quelle place prend le carnet de voyage dans ta vie, souhaitais-tu le garder pour toi intimement, ou le partager?

Je t’envoie à mon tour une image, souvenir d’un voyage lointain qui commence à s’effacer.

Nectarine

Nectarine

Comme un songe

Chère Nectarine,

Tout d’abord, merci mille fois de me faire parvenir cette lettre. Tant de fois j’ai égaré mes carnets, que ce fût entre les sièges d’un train, sur le banc d’une gare ou les rochers luisants d’une berge, et tant de fois j’ai dû les laisser prendre le large, sans en revoir une page.

Tes mots ce matin me comblent donc de joie, et de façon égale piquent ma curiosité. Où donc as-tu esquissé les traits embués, rafraîchissants de ton aquarelle qui ressemble à un songe? 

Ces oiseaux aux corps légers, ce bord de mer miroitant, étais-tu en Grèce, peut-être au Maroc – et peu importe, lorsque tu replonges ton visage dans tes notes les parfums de ce paysage te reviennent-ils? Y retrouves-tu tes pensées et ton état d’âme d’alors?

Nectarine

Mes carnets ont été à mon côté de tous temps, comme un fidèle compagnon de voyage, et comme un refuge paisible où je puis déposer mes tempêtes, y trouver un ancrage. J’en recueille à l’occasion des passages, que j’envoie par le ciel aux êtres si chers qui habitent mon cœur, et j’en lis parfois des extraits à voix haute, aux nouvelles amitiés que j’encontre en chemin.

Je dois avouer qu’il m’arrive de partager sans que ces belles âmes ne puissent en saisir le langage. Mais la poésie, comme la musique, est le langage du cœur, et quoi qu’elles ne suivent pas complètement le fil de l’histoire, elles font soudain partie du voyage.

Et toi, où sont les carnets dans ta vie, où vont-ils? J’aimerais beaucoup les admirer davantage, et les lire peut-être, si j’en ai la chance.

Avec ma reconnaissance, je t’envoie un dessin issu de mon plus récent compagnon.

À bientôt je l’espère,

En dialoguant

En dialoguant

Dans les strates du papier

Chère complice, 

Merci pour ce bateau voguant toutes voiles dehors, sur une mer agitée, qui fait écho au port d’Essaouira, battu par le vent! Je devine que tes carnets peuvent contenir un message secret, intime, comme une bouteille jetée à la mer: quand on découvre la carte aux trésors qu’elle transporte, on n’en comprend pas toujours les symboles. Après tout, qu’importe! Puisqu’elle nous fera rêver à des destinations mystérieuses…

Oui, tu as raison, quand je regarde mes carnets de voyage, je ressens à nouveau les odeurs et les bruits, les sensations sur ma peau, les émotions aussi, qui m’ont traversée à ce moment précis de ma vie où le temps s’est ralenti. Tous les petits détails de la scène sont enfouis dans les strates du papier, invisibles pour celui qui ne s’est jamais arrêté, une heure ou deux, pour observer vraiment ce qu’il y a devant ses yeux. Et quand je trouve sur place une feuille d’arbre, une plume, un joli papier, je l’ajoute tel un sceau d’authentification: j’étais là.

Ainsi, voici un autre dessin qui me rappelle une belle rencontre au Maroc, où je m’étais échappée quelques jours avec un groupe de carnettistes.

Et pour toi, quels sont les outils, techniques et situations, qui te permettront de traduire ce qui est dans ton esprit et ton cœur?

Bien à toi,

Nectarine

Nectarine

Encrer les traits

Nectarine, Sœur pérégrine, 

Certains visages nous parlent avec insistance, oui, et de les garder en mémoire devient insuffisant: il faut encrer les traits dans le papier, faire de cette impression qui nous tenaille et nous renverse quelque chose d’impérissable. Un pépin d’éternité sur la page.

Autant que possible, aussi beau que la beauté qui nous habite, qui nous traverse, en cet instant. Certains visages, certains paysages, ineffables et pourtant, implorant qu’on leur réponde, qu’on les exprime.

Je n’ai d’autre méthode pour accomplir cela que la lente descente en moi-même – comme une plongée dans la mer. Avec chaque respiration je plonge, j’approfondis le silence.

D’abord verticalement je m’incline, le temps se cale. Puis l’horizon s’échancre et mes yeux, mes oreilles, ma poitrine s’entrouvrent, grandissent. Je suis un passager, je suis un réceptacle. Je sais qu’en glissant ainsi hors de ma propre identité je ne meurs pas, mais plutôt je prends vie, infusée par l’essence de l’instant, en cet espace où je suis disponible, où tout est à écrire.

Et j’écris. Pénétrée par les musiques, les odeurs, les regards, les questions, les mystères, il n’y a rien à expliquer ou à conclure, je suis ici pour dire l’expérience d’exister. De faire partie pour là maintenant de cette jungle fascinante et délicieuse, de ce désert effroyablement beau et aride. De porter mon humanité en ce monde chaotique. Entre émotions et songes, des mots émergent, et mes doigts travaillent amoureusement à tisser le lien entre ces émergences et le papier.

Une joie chaleureuse me bondit dans le cœur à t’imaginer quelque part dans ce monde, cheminant, recueillant plume et écorce, déposant ton expérience dans les carnets colorés qui t’accompagnent. Il m’est difficile de décrire le sourire qui éclaire mon visage, mais je vais essayer…

Bons chemins,

En dialoguant

Autoportrait – En dialoguant

L’une de ces deux carnettistes-mystère est Catherine Evrard (ici sous le pseudonyme Nectarine). Elle vit en Seine et Marne, en France et elle a composé ce carnet de voyage au Maroc. Sa correspondante est Cloé Marcoux, rédactrice pour le magazine Zenflo depuis ses débuts (pseudonyme En dialoguant). Cloé est établie à Squamish, en Colombie-Britannique (Canada) et ses dessins sont issus de plusieurs carnets. Merci à elles de s’être prêté au jeu du dialogue-mystère!

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