Image à la une de cet article au sujet du temps passé par les enfants devant les écrans: deux jeunes jouent sur leur cellulaire.

Bien-être numérique et temps d’écran des enfants: à la recherche du moment présent

Marie-Pier Jolicoeur Action, Agir au quotidien, Printemps 2021

Temps de lecture: 8 minutes

Portrait de Marie-Pier Jolicoeur, auteure de cet article
Marie-Pier est candidate au doctorat en droit à l’Université Laval et professeure de yoga. Elle s’intéresse au rôle du droit pour répondre à la menace du numérique sur la santé et le développement de l’enfant.

Malgré tous les gains que nous procure la technologie, indispensables en ces temps de crise sanitaire où nous devons réduire nos contacts sociaux, nous savons maintenant que l’utilisation effrénée des plateformes numériques n’est pas sans risque. Quelles en sont les conséquences sur le développement et la santé des enfants? L’auteure propose aussi des solutions pour intégrer une utilisation du numérique qui soit plus saine.

Dans la première partie de notre article consacré à la question du bien-être numérique des enfants, nous aborderons le problème sous l’angle des conséquences observées par les scientifiques. À l’heure actuelle, le temps d’écran des enfants peut être considéré comme un enjeu majeur de santé publique, et ce, principalement dans les pays occidentaux [1].

Dans la seconde partie, des solutions les plus porteuses seront décrites pour tendre à intégrer une utilisation saine du numérique dans nos vies personnelles et familiales, et celles de nos enfants.

Les conséquences des usages de la technologie sur la santé, le développement et le bien-être de l’enfant

Michel Desmurget, neurophysiologiste et docteur en neurosciences, dirige une équipe de recherche sur la plasticité cérébrale au sein de l’Institut des sciences cognitives Marc Jeannerod, et une équipe de recherche à l’INSERM, en France [2]. En 2019, il a publié, pour le grand public, la première synthèse des études internationales sur les effets réels des écrans numériques sur la santé des enfants [3].

Couverture du livre de Michel Desmurget traitant du temps passé par les enfants devant les écrans

Les conclusions de cet ouvrage sont sans détour: l’utilisation récréative excessive des écrans par les enfants provoque des conséquences graves sur leur santé physique, physiologique, psychologique, cognitive, langagière, et émotionnelle [4].

La présence constante des écrans dans la vie des enfants

Pendant longtemps, l’exposition des enfants au numérique était limitée à un seul écran: la télévision. Aujourd’hui, avec la création de plateformes digitales adressées directement aux enfants, et la présence de plusieurs télévisions, tablettes, cellulaires, consoles de jeux et autres écrans numériques au sein d’un même foyer, l’exposition des enfants aux écrans est beaucoup plus importante. Dès l’âge de deux ans, les enfants des pays occidentaux passeraient près de trois heures devant des écrans, en moyenne, chaque jour [5]. Entre huit et douze ans, ce temps d’écran s’élèverait à près de cinq heures par jour. Entre treize et dix-huit ans, nous atteignons une moyenne de près de sept heures, soit l’équivalent de 2400 heures annuellement, ou 2,5 années scolaires [6]!

Jeune fille devant son ordinateur.

Toute cette consommation numérique vient avec de nombreux risques pour la santé de l’enfant que nous avons regroupés en deux catégories, telles que décrites par le scientifique Michel Desmurget.

Ce que la technologie cause directement à l’enfant

D’abord, les outils numériques peuvent avoir toutes sortes de conséquences physiologiques, musculosquelettiques, oculaires et attentionnelles directes sur l’enfant. Par exemple, l’augmentation du temps d’écran en âge préscolaire serait associée à des problèmes importants de troubles d’attention [7]. Une autre étude révèle les impacts posturaux des écrans sur la région de la tête et du cou [8]. En effet, devoir tenir son corps vers le bas pour observer une tablette, une console ou un téléphone n’est pas sans conséquences sur la santé du squelette. L’utilisation inadéquate des écrans serait aussi associée avec certains troubles de vision [9].

Enfant qui s'amuse avec une console de jeux vidéos

Ce que l’enfant ne fait pas en raison du temps passé devant l’écran

Ensuite, dans une autre catégorie, nous pouvons regrouper les conséquences liées à tout ce que l’enfant ne fait pas en raison de sa consommation excessive du numérique: sommeil, lecture, échanges familiaux, pratiques sportives ou artistiques, devoirs, s’ennuyer (sainement), etc. Le temps consacré au numérique empêche l’enfant de développer ses habiletés sociales, ses fonctions exécutives et cognitives ainsi que son langage grâce à des interactions hors ligne [10].

Quelle réponse offrir face à un tel enjeu de santé infantile?

En tant que parent, éducateur, intervenant social ou simple individu qui a à cœur de prioriser le bien-être et assurer la santé optimale des êtres en développement que sont les enfants, quelles actions et quel contrôle bienveillant devrions mettre en œuvre pour assurer leur protection?

Les solutions à mettre en œuvre pour assurer une relation plus saine de son enfant avec le numérique

À la fin de son ouvrage, le docteur Desmurget ne laisse pas le lecteur en reste.  Selon cet expert qui a étudié en profondeur la littérature scientifique la plus récente en matière d’utilisation du numérique par les mineurs, il ne faut surtout par se résigner à vivre dans un monde où l’écran domine le quotidien des enfants: «l’action éducative peut reprendre ses droits». Dans son épilogue, il propose sept règles qui découlent des conclusions tirées de ses observations, et ce, dans un langage clair et accessible. Il propose d’adapter ces règles «aux caractéristiques de ses enfants et du contexte familial». Nous avons conçu un petit tableau permettant de comprendre rapidement la portée de ces sept règles.

Temps écran des enfants: tableau inspiré des 7 règles du Dr. Desmurget

Bien que ces règles de vie à la maison soient exigeantes à respecter, l’auteur termine cette liste de conseils sur un ton qui nous fait rappeler la pertinence du rôle et de la position que l’adulte détient face à l’éducation numérique de son enfant:

«[…] lorsqu’ils seront grands, [vos enfants] vous remercieront d’avoir offert à leur existence la fertilité libératrice du sport, de la pensée et de la culture, plutôt que la stérilité pernicieuse des écrans.» [11]

Un autre élément: ne pas récompenser son enfant par du temps d’écran

Nous ajouterions un huitième élément à ce tableau des règles essentielles du docteur Desmurget. Selon une étude publiée en 2018 par un groupe de recherche de l’Université Guelph, en Ontario, utiliser les outils numériques à titre de récompense pour de bons comportements réalisés par son enfant aurait un effet pervers sur le temps d’écran: il aurait tendance à augmenter la propension de l’enfant au numérique [12]. Autrement dit, proposer à son enfant une permission spéciale de «vingt minutes de jeux vidéo après le bain» ou de «trente minutes de réseaux sociaux comme Instagram» s’il a bien agi dans telle ou telle circonstance a tendance à avoir un effet non désiré: créer l’écran davantage attrayant et attirant pour l’enfant. Le même phénomène est observé pour les sucreries. Mieux vaut donc opter pour des récompenses «saines» pour souligner le bon comportement dans son éducation parentale ou scolaire: des compliments à l’égard de l’enfant, une lettre de félicitations, une sortie familiale à l’extérieur, etc. Bref, soyons créatifs!

Jeune garçon qui arrose le jardin

Soyez bienveillant envers vous-même & questionnez votre propre relation au numérique

Même si le temps d’écran est dorénavant considéré par l’Institut National de Santé Publique du Québec comme une habitude de vie importante et associée à la santé des individus [13], il est important d’aborder le problème avec bienveillance et douceur. Bien que la lecture de notre court article sur la question puisse susciter certaines peurs et inquiétudes comme parent, éducateur ou intervenant ayant, comme nous l’avons dit d’entrée de jeu, «à cœur de prioriser le bien-être et assurer la santé optimale de ces êtres en développement», il ne faut pas se culpabiliser ou se décourager. Nous pensons surtout, comme juriste, que le problème ne concerne pas seulement la responsabilité parentale individuelle, mais qu’il devrait être traité comme tout autre enjeu de santé publique: par des actions étatiques concrètes et ambitieuses. Or, ce n’est pas l’objet du présent article d’aborder cette perspective sociojuridique.

Chaque parent a la possibilité de voir le temps d’écran des enfants comme un défi à relever dans un monde qui se virtualise de plus en plus.

Une dernière piste serait celui de questionner sa propre relation aux outils numériques en tant qu’adulte. La représentation et la relation qu’entretiennent eux-mêmes parents et adultes avec les écrans semblent avoir un impact significatif sur la relation de leurs enfants au numérique [14].

Nous avons conçu une liste non exhaustive de questions qui regroupent différentes astuces, informations et réflexions tirées de la somme des lectures que nous avons faites sur le sujet. Il peut être utile de se poser ces questions pour faire le point sur sa propre consommation numérique comme adulte:

  • Êtes-vous sensible et conscient de votre propre usage des outils technologiques?
  • Êtes-vous parfois en mode multitâche avec vos outils numériques? Par exemple, répondez-vous à vos courriels sur votre cellulaire pendant que la télévision est allumée, et ce, en vous disant que vous êtes en train de faire une «pause d’écran» de votre ordinateur de bureau?
  • Vous accordez-vous quotidiennement des moments de «déconnexion» pour des activités non-virtuelles et sensorielles? Une période sans écran avant votre heure de coucher et après vous être réveillé le matin, par exemple?
  • Est-ce que vous programmez un courriel automatisé au travail pour vos vacances et vos périodes d’absence, indiquant que vous ne consulterez pas vos messages? Si oui, vous empêchez-vous réellement de consulter vos courriels?
  • Lorsque vous êtes en famille et avec vos enfants ou vos proches, votre cellulaire est-il à portée de main?
  • Saviez-vous que certains réseaux sociaux offrent l’option de «fermer son compte» de manière temporaire? C’est le cas entre autres de Facebook. Pensez-vous qu’il vous serait bénéfique de fermer temporairement votre compte lors de vos prochaines vacances?

Nous aimerions terminer cet article sur les sages paroles de l’éducatrice, auteure et conseillère familiale Dorothy Law Nolte, écrites en 1954 [15]. Elles restent tellement d’actualité et pertinentes face à la question du bien-être numérique des enfants!

Chaque enfant apprend par l’exemple

S’il vit entouré de critiques: il apprend à blâmer.
S’il vit entouré d’hostilité: il apprend à être agressif.
S’il vit entouré de moquerie: il apprend à être timide.
S’il vit entouré de honte: il apprend à se sentir coupable.
S’il vit entouré de tolérance: il apprend à être patient.
S’il vit entouré d’encouragement: il apprend à agir.
S’il vit entouré d’éloges: il apprend à complimenter.
S’il vit entouré de probité: il apprend à être juste.
S’il vit entouré de sécurité: il apprend à faire confiance.
S’il vit entouré d’approbation: il apprend à s’accepter.
S’il vit entouré d’amitié: il apprend à aimer la vie.

Fillette qui s'ennuie sainement posée sur un arbre

Sur le même thème

Expérience de déconnexion: trucs et astuces au quotidien

Cet article vous a plu? Vous pouvez contribuer librement à la mission de Zenflo.

Pourquoi contribuer?

Sources

[1] TISSERON, Serge. Un problème de santé publique de plus en plus préoccupant. Spirale, 2017, no 3, p. 20-27

[2] IDREF, Identifiants et référentiels pour l’enseignement supérieur et la recherche, consulté le 14 décembre 2020 [en ligne: https://www.idref.fr/11227871X# ] [3] DESMURGET, Michel. La fabrique du crétin digital-Les dangers des écrans pour nos enfants. Média Diffusion, 2019

[4] Ibid.

[5] Ibid., p. 9

[6] Ibid, p. 9

[7] Tamana, S. K., Ezeugwu, V., Chikuma, J., Lefebvre, D. L., Azad, M. B., Moraes, T. J., … & Dick, B. D. (2019). Screen-time is associated with inattention problems in preschoolers: Results from the CHILD birth cohort study. PloS one, 14(4), e0213995

[8] Young, J. G., Trudeau, M., Odell, D., Marinelli, K., & Dennerlein, J. T. (2012). Touch-screen tablet user configurations and case-supported tilt affect head and neck flexion angles. Work, 41(1), 81-91

[9] ORDRE DES OPTOMÉTRISTES DU QUÉBEC, L’Ordre des optométristes du Québec appuie les recommandations de la Société canadienne de pédiatrie concernant l’utilisation des écrans chez les jeunes enfants (2017), article consulté le 15 décembre 2020 [en ligne: www.newswire.ca] [10] op. cit., note 3

[11] Ibid., p. 345

[12] LUPIEN, Sonia. Le temps d’écran des enfants, Radio-Canada Ici Première [en ligne: https://ici.radiocanada.ca/premiere/emissions/penelope/segments/chronique/202434/temps-ecran-tablette-tele-enfants-limite-habitudes-parents] [13] Étienne Pigeon & Vanessa Brunetti, Le temps d’écran, une autre habitude de vie associée à la santé, Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). Direction du développement des individus et des communautés, TOPO, Montréal, 2016, p. 4

[14] PIPARD, Thomas et BENEDINI, Élise. Les enfants et les écrans: représentations des parents. Exercer, 2016, vol. 27, no 128, p. 253-9

[15] PRICE-MITCHELL Marilyn, Children Learn What They Live: Lessons from Dorothy Law Nolte [en ligne: https://www.rootsofaction.com/children-learn-what-they-live-lessons-from-dorothy-law-nolte/]